Cette année, les agricultrices de la province du Hainaut ont organisé leur journée d’étude provinciale sur le thème de la souveraineté alimentaire. Nous avons été accueillis par les sections locales d’Ath et de Frasnes ce jeudi 14 septembre à Ellezelles.
Afin de développer ce vaste sujet qu’est la souveraineté alimentaire, nous avons eu la chance de recevoir Monsieur Christian Walravens, agronome spécialisé en production végétale et agriculteur, ainsi que Monsieur Amaury Ghijselings, chargé de recherche en souveraineté alimentaire au CNCD 11.11.11.
Entre propagande et hypocrisie
Dans sa présentation, Christian Walravens a démontré de nombreux clichés et contraintes que doivent subir les agriculteurs au quotidien, principalement liés à l’utilisation de produits de protection des plantes (PPP) : « On demande aux agriculteurs de continuer à produire, mais avec toujours moins de moyens ».
Quelles conséquences pour l’agriculture d’ici 2030 ?
Tout d’abord, il y a les ambitions de la Commission Européenne avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle PAC le 1er janvier 2023, avec entre autres la volonté d’une plus grande liberté laissée aux Etats membres dans leurs politiques agricoles. Chacun doit soumettre et faire valider son « Plan Stratégique National » à la Commission. Un système d’écorégimes avec des primes versées aux exploitants qui suivent des programmes environnementaux, permet de remplacer l’ancien paiement vert, conditionnant une partie des aides directes aux pratiques environnementales des agriculteurs.
D’autres mesures prévoient une diminution de l’utilisation de pesticides ainsi que l’augmentation des terres consacrées à l’agriculture biologique. Les écorégimes seront obligatoires en 2025.
Pour 2030, l’Europe souhaite une diminution de 50% des PPP. « Mais quel est le moment de référence pour cela ? Si on se réfère au début des années 90, nous avons déjà atteint l’objectif ! », expose Christian Walravens. Il serait également question de diminuer de 30% les fertilisants chimiques et une proportion de 25 à 30% d’agriculture biologique. Cependant, avons-nous des solutions pour remplacer les produits supprimés ? L’agriculture biologique rencontre-t-elle toujours le même succès ? Autant de questionnements qui restent sans réponse.
Martine à la ferme
Beaucoup de citoyens refusent de voir la réalité en face. Ils se bercent d’une vision passéiste et erronée de nos campagnes. Ils s’imaginent que la suppression de la chimie apporterait la durabilité en agriculture mais ces mêmes personnes ignorent la réalité de la production agricole.
C’est l’occasion de transmettre une information correcte aux citoyens.
Pourquoi utilise-t-on des PPP ?
La première raison réside dans le pragmatisme et du point de vue de l’agriculteur. Les fermes d’aujourd’hui ne comptent plus un ou deux hectares comme au temps de nos grands-parents.
L’utilisation des PPP permet d’avoir des récoltes de qualité et d’éviter les pertes. Ce qui diminue les risques pour le consommateur tant en termes de quantité, qu’en termes de qualité. Cela permet aussi d’assurer de bons rendements pour l’agriculteur.
La nature est généreuse mais sait se montrer très hostile. Certains parasites que l’on pensait disparus, réapparaissent. La santé du consommateur est entre les mains des agriculteurs, en protégeant leurs cultures, c’est le consommateur qu’ils protègent. « Il ne faut pas croire qu’en ne mettant plus rien, que la nature va tout nous donner ». De plus, la régularité de production permet une stabilité des prix.
En quelques années, il y a eu d’énormes évolutions dans les soins aux cultures : les jets anti-dérive, des produits très contrôlés, la phytolicence, l’ordinateur de bord qui gère et enregistre les interventions, etc. Les PPP ne sont plus utilisés comme il y a 30 ans.
Où en sont les alternatives ?
Il existe deux solutions pour le désherbage des céréales : la solution chimique ou la solution mécanique. Concernant la solution chimique, des progrès sont réalisés mais ils ne sont pas communiqués au grand public. Par exemple, les Sulfonylurées pour les céréales qui nécessitent que 50 grammes de matière active par hectare mais qui sont de très grandes efficacités, ne sont pas toxiques et qui sont neutres pour l’environnement.
Quant à l’alternative mécanique, qui est de plus en plus utilisée, cause des effets considérables sur les nids au sol et sur les petits mammifères présents dans nos campagnes.
L’hypocrisie s’installe
Des produits, tels que le Bonalan, nous sont supprimées mais il n’existe toujours pas d’alternative valable. Sans ce produit, la culture de chicorées est impossible. Idem pour certains insecticides, cela menace nos grandes cultures et nos productions fruitières. Plus de 20 alternatives sont proposées par des ONG et théoriciens mais cela ne tient pas la route.
La Commission Européenne impose des choses aux agriculteurs : « on interdit d’abord, puis on cherche seulement des solutions. Nos décideurs disent que le monde agricole doit s’adapter. Cela est-il durable mais surtout faisable ? ». Ensuite, est-ce économiquement tenable pour l’agriculteur ? On lui demande d’investir de plus en plus avec un risque plus élevé de perdre sa récolte ou de ne pas savoir la vendre.
L’agriculteur est d’avantage poussé vers l’agriculture biologique mais se montre bien démunie face aux substances et maladies telles que les mycotoxines, la carie, l’ergot du seigle, etc. La bouillie bordelaise, faite à base de cuivre et proposée comme solution « naturelle », parait incohérente car peu efficace, toxique et laisse de nombreux résidus de cuivre. De plus, beaucoup de denrées biologiques ne trouvent plus d’acheteurs.
La nourriture ne peut pas devenir un luxe
L’agriculture ne peut pas produire de moins en moins en vendant de plus en plus cher, il faut rester nourricier avant tout. Les conséquences seraient lourdes pour le consommateur avec des inégalités alimentaires.
L’erreur à éviter serait de tomber dans le repli sur soi. Nous ne savons pas tout produire chez nous et nous avons besoin de l’exportation pour injecter des devises dans l’économie. « Il faudrait alors aussi supprimer les importations avec le thé, le café, les agrumes, le chocolat ? ». Cependant nous avons besoin d’importer pour compléter et équilibrer notre alimentation.
Christian Walravens conclu son exposé en disant : « Nourrir l’humanité est un métier. L’improvisation n’y a pas sa place ».
Ensuite, nous avons pu écouter Amaury Ghijselings qui nous a présenté la souveraineté alimentaire dans le monde.
En quantité globale, nous produisons suffisamment de nourriture au niveau mondial. Cependant, les calories par personne que cela représente sont mal réparties à travers le monde. La majorité des personnes qui sont touchées la faim se trouvent en Asie et en Afrique. Dans l’Union Européenne, il n’y a aucun risque de pénurie alimentaire grâce à un secteur agricole bien établi, soutenu par la Politique Agricole Commune.
Le mythe de l’UE qui nourrit le monde
Lorsqu’on se tourne sur les chiffres d’importation et d’exportation alimentaire, nous pouvons voir que nous ne nourrissons pas le monde mais que c’est le monde qui nous nourrit. L’UE exporte des produits de grandes valeurs tels que des fromages, vins et spiritueux. Par contre, l’UE importe l’équivalent de 33% de sa surface agricole utile et est importatrice nette de 26% pour les protéines, ce qui s’explique notamment par l’importation de soja à destination de l’alimentation animale, selon Amaury Ghijselings.
Concilier sécurité alimentaire, environnement et revenus justes
Le CNCD 11.11.11 propose plusieurs pistes afin de réformer les systèmes alimentaires et de bénéficier de prix justes : sortir l’agriculture de l’Organisation Mondiale du Commerce, interdire l’accaparement de terres, réformer la PAC pour assurer plus d’équité, stopper la disparition des fermes et contribuer au Green Deal, etc. Ensuite, en favorisant un système commercial basé sur la souveraineté alimentaire, cela régulerait l’offre, les prix et les échanges.
Produire et consommer autrement
En suivant le système d’agroécologie, qui est définie comme économiquement performante, porteuse de développement humain et respectueuse de l’environnement, elle nous permettrait de lutter contre la faim, ce qui est reconnu par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). Grâce à l’agroécologie, nous pourrions arriver à une alimentation et à une agriculture durable.
Amaury Ghijselings nous a présenté les recommandations du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) : « Afin de contrer rapidement le phénomène d’accélération du réchauffement climatique, il est proposé de se tourner vers une alimentation flexitarienne ».
Point de vue européen, il y a la mise en place du Pacte Vert qui se sépare en 2 stratégies : la stratégie de la ferme à la table et la stratégie biodiversité. Cette dernière contient la controversée Loi de la restauration de la nature. Cependant ce Pacte qui vise à répondre à la crise climatique et de la biodiversité, possède un agenda législatif chargé et en retard.
Afin de conclure sa présentation, Amaury Ghijselings nous expose un extrait d’une analyse produite pour le CNCD 11.11.11 :
- Les émissions du secteur agricole européen sont restées stables depuis 2005 alors qu’elles baissent de façon constante dans les autres secteurs ;
- En Belgique, le revenu moyen d’un agriculteur n’atteint que 65% du revenu moyen ;
- Le système alimentaire européen n’est pas durable, injuste pour les agriculteurs et dépendant de pays tiers ;
- Si la PAC n’augmente pas les revenus de ses bénéficiaires, il sera difficile que ceux-ci respectent les objectifs environnementaux qu’elle souhaite atteindre ;
- Il manque un lien entre les défis environnementaux et sociaux dans la PAC. Espérer que les agriculteurs changent leurs pratiques alors que le budget total de la PAC diminue et qu’en parallèle nulle disposition n’est à la hauteur pour leur assurer des prix justes, est l’illustration parfaite d’un projet de transition qui n’intègre pas la dimension « juste ».
Ces deux présentations ont permis aux agricultrices, agriculteurs ainsi qu’au public présent de mener un débat intéressant et constructif, notamment entre nos deux orateurs. Chacun a pu réfléchir à ses prises de position, ouvrir son esprit et apporter son avis.