Les agricultrices UAW du Namurois se sont donné rendez-vous dans le petit village de Mesnil-Saint-Blaise logé au milieu des prairies sur le dessus de la vallée de la Meuse… Un régal pour les yeux….

Les agricultrices venues en nombre ont été accueillies par Sabine Rabeux, Présidente de la section de Dinant-Beauraing, qui leur a dressé un succulent portrait de la région.

Retour sur une journée qui a posé les bases de réflexion ou tout du moins un début de compréhension autour d’un sujet assez nébuleux pour tous et toutes

Brexit dur, mou ou pas du tout ?

Notre présidente provinciale, Véronique Brahy, a présenté le sujet avec son humour et son entrain qui se sont retrouvés dans son discours d’introduction dont voici un extrait.

« Nous avons la réputation à l’UAW d’être pro actives, cela se vérifie encore aujourd’hui avec le choix de notre journée : « le Brexit aurait-il une influence sur ma vie au quotidien ? »

Le Brexit, nous en entendons parler depuis pas mal de temps maintenant.

Personnellement, à force que ça aille un peu dans tous les sens, je ne sais plus trop quoi penser et je m’emmêle un peu les pinceaux.

Le but de cette journée étant de remettre un peu d’ordre dans tout cela et de voir vers quoi nous allons. »

Pour cela, nous avons invités trois conférenciers qui ont pu aborder chacun à leur manière ce sujet assez sensible…

Madame Valentine Huys du Service d’étude de la FWA nous a éclairés sur l’influence qu’aura le Brexit sur notre agriculture wallonne, belge et pourquoi pas européenne. Monsieur Liam MacHale, directeur des affaires européennes à l’ « Irish Farmer’s Association » syndicat agricole irlandais, nous a expliqué le cas concret de l’Irlande et de ce que vivent ou vivront les agriculteurs irlandais et, pour terminer, Monsieur Robert Remy, consultant alimentaire et ex responsable des études alimentaires chez Test Achat, a abordé l’influence que cela pourrait avoir sur notre vie de tous les jours. Car n’oublions pas, nous sommes également toutes des consommatrices.

Le Brexit aura-t-il une influence sur mon métier d’agricultrice ?

Valentine Huys nous a tout d’abord dressé l’historique de la situation afin de nous remettre toutes sur un pied d’égalité. Si il est vrai que l’on parle depuis juin 2016 de ce Brexit suite au référendum organisé par l’Angleterre et qui a montré que 51.89% de la population souhaitait sortir de l’Union Européenne, depuis juin 2019, nous avons l’impression que le calendrier s’accélère et que le sentiment de peur, d’incompréhension, de malaise s’empare des populations tant anglaises que irlandaises que européennes.

Depuis le 04 septembre, nous sommes sur d’une chose, le Parlement anglais a voté la loi sur un Brexit avec accord. Un nouveau délai a été accepté par l’Union Européenne, appelé Flextension, et dont la nouvelle date est le 31 janvier 2020…

L’avenir est totalement incertain en fonction de possibles élections anticipées ou d’un nouveau référendum et dans ce cas, si il y a Brexit avec accord, d’une période de transition ou si il y a un Brexit sans accord, il n’y aura pas de période de transition….

En quoi cela pourrait-il inquiéter le monde agricole wallon, me diriez-vous ?

Les impacts sont nombreux. Les tarifs et contrôles douaniers vont augmenter. Les formalités administratives et techniques seront plus nombreuses et donc il y aura une augmentation des délais de livraison : ce qui pourrait poser de gros problèmes pour les marchandises fraîches. Le cours de la Livre aura une influence sur la compétitivité des produits et sur le pouvoir d’achat des ménages anglais.

Il faut savoir que la part des importations alimentaires du Royaume Uni est immense.  65% de leurs produits alimentaires viennent d’Europe et seulement 35% sont hors UE. La Belgique est en 6ème place au niveau des exportations vers le Royaume Uni (5.3%)… Vous pourriez penser que ce n’est que 5.3% mais voilà, ce serait trop simple…non ? Il faut conjuguer tout cela avec le fait que le RU pourrait se tourner vers d’autres importateurs que l’UE. Les risques de surplus  de produits agricoles au sein de l’UE et qui auraient un impact direct sur la Belgique. Il sera difficile de diminuer rapidement les quantités de produits agricoles ou de trouver d’autres canaux pour les écouler. Et si le surplus en Europe est grand, la baisse des prix sera inévitable.

Et nous, dans notre petite Wallonie ?

Le Royaume Uni est la 6ème destination d’export pour la viande bovine congelée wallonne et la 7ème pour la viande fraiche et congelée en provenance de Belgique.

En produits laitiers, le RU est la 4ème destination des produits belges et 4.22% du lait en poudre produit en Wallonie est exporté au RU !

Pour les volailles, 9.9% des exportations belges débarquent chez nos voisins mais pour la Wallonie, il s’agit de la première destination pour nos coqs et nos poules (42.84% pour seulement 25.15% vers la France ou 2.89% vers l’Allemagne) !!!!

Le RU est la troisième destination pour nos porcs belges (la 7ème pour les porcs wallons).

On peut dire que l’avenir commercial est incertain. L’impact est difficile à chiffrer mais les risques sont importants. Et les aides prévues auront leurs limites budgétaires.

L’Irlande ? Maillon fort ou faible ?

Monsieur MacHale a pu, avec un charmant accent, et dans un français parfait, nous exposer la situation en Irlande. Comment les irlandais et irlandaises vivent ce Brexit surtout après les années politiquement difficiles que ce pays a déjà traversé ?

Pour rappel, l’Irlande est une petite île située à l’ouest du Royaume Uni. Ce pays a été divisé suite à des guerres politico-religieuses qui ont terminé avec l’accord de Belfast assez récent. La paix est donc fragile est les souvenirs sont encore très douloureux pour de nombreuses générations.

L’Irlande est donc coupée en deux :

Nous avons l’Irlande du Sud qui a pour capitale Dublin, et qui compte 26 comtés.

L’Irlande du Nord, quant à elle,  appartient au Royaume Uni  avec l’Angleterre, l’Ecosse et le Pays de Galles, qui possède 6 comtés et a pour capitale Belfast.

Plusieurs différences majeures les caractérisent : La République d’Irlande (Sud) a un président élu pour 6 ans, au Nord, c’est l’autorité de la Reine qui prime.

L’Irlande du Sud est principalement catholique tandis que le Nord est majoritairement protestant.

L’Irlande du Nord, comme l’Angleterre, ne faisant pas partie de la zone euro, la monnaie est toujours la livre sterling, mais avec ses propres billets qui même s’ils ont la même valeur que les billets anglais n’y sont pas acceptés. La République d’Irlande a fait plus simple, elle a adopté l’euro.

Même leurs drapeaux sont différents.

Bref vous l’aurez sûrement compris, en tête des problèmes qui focalisent toutes les tensions : la frontière nord-irlandaise. Il s’agit en effet, pour le RU, de la seule frontière terrestre avec l’Europe et donc qui dit frontière, dit contrôle, douane, soldats, tout cela avec une Histoire douloureuse qui date d’à peine 20 ans. Et cela les Irlandais ne veulent plus la revivre.

La plus grande difficulté que rencontrent les organisations lobbyistes pour le moment au sein du Parlement européen, c’est la méconnaissance de beaucoup des nouveaux arrivants au sein de l’UE qui ne connaissent pas ou n’ont jamais eu connaissance de cette Histoire. Et comme l’a si bien dit Mr MacHale, c’est ici que Monsieur Barnier le négociateur en chef de la Commission chargé de la conduite des négociations avec le Royaume Uni , joue son rôle d’ambassadeur car il comprend les problèmes et peut expliquer aux néo-européens la sensibilité irlandaise.

Il pourrait y avoir 3 scénarii possibles

 

  • Scénario 1: une frontière est rétablie entre l’Irlande et l’Irlande du nord

A quoi cela ressemblerait ? Puisque le Royaume-Uni a choisi de quitter l'Union européenne alors que la République d'Irlande, elle, y demeurera, une frontière est censée être rétablie entre les deux pays. Si ce principe était appliqué à la lettre, cela signifierait que les postes-frontières entre l'Irlande et l'Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni, reprendraient du service. Des contrôles douaniers seraient rétablis, les biens et les marchandises ne circuleraient plus librement de part et d'autre de la frontière.

Pourquoi ça coince ? C'est la solution dont personne ne veut entendre parler. Chaque jour, 30 000 personnes franchissent cette ancienne frontière. Surtout, la libre-circulation entre ces deux territoires est l'un des points fondamentaux de l'accord du Vendredi saint, conclu en 1998. Lequel a mis fin à trente années de violence entre les nationalistes et les unionistes, qui ont fait près de 3 500 morts. Difficile donc d'imaginer le retour des barbelés et des miradors le long de cette frontière, qui serait inévitablement interprété comme un grave retour en arrière pour la paix en Europe.

 

  • Scénario 2 : l’Irlande du Nord reste dans le marché unique et se détache du Royaume Uni

A quoi cela ressemblerait ? Les Européens veulent s'assurer que le Royaume-Uni n'obtienne pas, via l'Irlande du Nord, un accès "à la carte" au marché unique européen, sans se soumettre aux obligations douanières qui y sont liées. Michel Barnier a donc proposé un mécanisme de "backstop" ("filet de sécurité") temporaire, qui consisterait à contrôler les produits qui circulent entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. En attendant qu'une solution pérenne soit trouvée, l'Irlande du Nord resterait donc, de fait, intégrée dans le marché unique européen.

Pourquoi ça coince ? Cette solution, qui a les faveurs des Européens, fait bondir le camp unioniste en Irlande du Nord et les conservateurs britanniques. Elle reviendrait in fine à déplacer la frontière en mer d'Irlande. Pour le Royaume-Uni, cela signifierait une perte de souveraineté sur l'Irlande du Nord.

 

  • Scénario 3 : un statu quo provisoire en attendant une solution

A quoi cela ressemblerait ? Face à l'impasse, Theresa May a proposé "un arrangement douanier provisoire" qui maintiendrait l'ensemble du Royaume-Uni dans le marché unique et l'union douanière européens, le temps qu'une solution soit trouvée. Concrètement, rien ne changerait donc par rapport à la situation actuelle.

Pourquoi ça coince ? Cette proposition de la Première ministre britannique a provoqué un tollé au sein de son propre parti, chez les plus fervents partisans du Brexit. Selon eux, une telle décision pourrait empêcher le Royaume-Uni de conclure des accords commerciaux avec d'autres pays. Et donc de tourner la page de l'Union européenne. Les eurosceptiques craignent aussi que cet "arrangement provisoire" ne perdure.

Bref, que nous soyons européens, wallons ou irlandais, nous sommes tous à la même enseigne.

Le Brexit aura-t-il une influence sur ma vie de conso-citoyenne ?

Ce fut Monsieur Robert Remy qui allait clôturer ce dossier rempli de questionnements. Et des questions, il y en a encore qui sont arrivées après son exposé.

Comme il l’a si bien dit, tout n’est pas noir ou blanc, il y aurait même 50 nuances de gris…

Un premier constat a été de remarquer que le consommateur européen se sent plus concerné par les éventuelles conséquences du CETA ou du Mercosur que du Brexit.

Second constat, le Brexit dope l’industrie agro-alimentaire. Car au Royaume Uni, la crainte de la pénurie est bien réelle. Selon les projections pessimistes, 80 à 85% des importations vers le RU pourraient être ralenties ou bloquées. En un an, l’IAA Belge a vu ses exportations vers le RU augmenté de 16% mais il faudra faire attention au retour de manivelle.

Tentons d’être pratique… A quoi s’attendre ?

Tant dans un sens que dans l’autre, il y aura des risques de délais d’attente aux frontières. Quid des aliments périssables ? Faudra t’il s’attendre à une réduction de ces échanges ?

En matière d’étiquetage par ex : les denrées produites au RU ne pourront plus mentionner « origine européenne », les logos tels que AOP – IGP – STG ne seront plus d’actualité et le RU devra utiliser d’éventuels nouveaux logos britanniques.

Quid du système d’alerte européenne pour un rappel de produit : en principe le RU en sera exclu… ce qui signifie que tout problème lié à la sécurité alimentaire d’origine britannique ne serait plus porté à la connaissance des 27 Etats membres.

Et pour les denrées non alimentaires ?

Pour les achats en ligne sur un site britannique, si la publicité cible clairement une offre valable en Belgique, rien ne changera (au niveau des délais rétractations ou de garanties) mais si ce n’est pas le cas, lisez attentivement les conditions contractuelles !

Pour les voyages, cela dépendra du type de compagnie, si c’est une compagnie britannique, les règles RU prévaudront.

Pour les communications, les numéros britanniques seront surtaxés et si vous êtes malade, la carte d’assurance européenne sera inutilisable. Mieux vaut donc vous renseigner auprès de votre mutuelle avant votre déplacement.

En conclusion,

Comme déjà dit, il y a plus de questions que de réponses ! Tous les opérateurs et les consommateurs espèrent éviter le scénario du No Deal, la mise en place d’une Union douanière avec le RU serait sans doute une bonne solution. Et le renforcement des contrôles à l’importation vers l’Europe est un préalable souhaité par une majorité des consommateurs.

Bref, une journée qui a posé les bases d’une réflexion et qui nous a permis de pouvoir mieux comprendre tous les échelons, implications, conséquences de chaque réflexion, décision… Suite au prochain épisode

 

Pour plus de détails, voici deux sites qui peuvent vous intéresser :

https://economie.fgov.be/fr/themes/entreprises/brexit

http://www.favv-afsca.fgov.be/brexit/fr/

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